La Coquille
Au Moyen-Âge le pèlerin revenant de Compostelle portait avec joie et fierté sur sa besace, sa pèlerine ou son chapeau une coquille qu’il était allé ramasser dans la baie de Padron et qu’il y accrochait par deux trous percés dans l’« écaille ». C’était la preuve qu’il avait bien accompli, après une longue et rude route, son pèlerinage au tombeau de l’apôtre vénéré dans la belle ville de Santiago.
Ces grandes coquilles, qui ont donné lieu à de nombreuses légendes, abondaient en effet sur les plages galiciennes du Padron et du Cap Finisterre, souvent atteintes en annexe au pèlerinage de Saint-Jacques. Les jacquets pouvaient aussi se procurer à Compostelle même ces « enseignes » – signes, insignes -, au naturel ou reproduites en plomb. On les fixait en particulier sur les bords relevés du grand chapeau, sur le mantelet de cuir recouvrant les épaules, sur la besace ou l’escarcelle. L’écusson à coquilles qui orne la cheminée de l’une des vieilles maisons de Saint-Léger-lès-Melle (Deux- Sèvres), ancienne auberge sur le chemin de Paris dit « chemin de Saint-Jacques ou des pèlerins », est le seul, à notre connaissance, où les coquilles soient percées de deux trous. Pour beaucoup cet emblème était en quelque sorte un laissez-passer pour entrer au Paradis.
En effet, de nombreux pèlerins de Saint-Jacques tenaient à emporter leur coquille avec eux dans la tombe. Au cours de fouilles ou travaux divers, il arrive que l’on découvre des tombes anciennes dont l’origine ne laisse aucun doute: parmi les ossements il y a la fameuse coquille. Dans la Drôme, près des vestiges d’un hospice de pèlerins, on a relevé la tombe de trois jacquets portant la coquille autour du cou ; à Moissac, dans un ancien cimetière, on a retrouvé des coquilles avec les restes de pèlerins qui avaient terminé à cette halte leur voyage de retour; à Aurillac également, au cours de fouilles dans l’église, de très belles coquilles ornées de motifs décoratifs en plomb ont été trouvées dans des tombeaux; à Nice, une coquille percée de quatre trous pour permettre de la fixer à une chaîne a été trouvée au milieu des ossements sous le dallage d’une chapelle. Et l’on pourrait citer encore beaucoup d’autres lieux où des tombes de pèlerins à la coquille ont été découvertes.
Pourquoi les pèlerins de Compostelle portaient-ils une coquille ? On ne le sait pas exactement mais ce fut dès l’origine l’emblème de ce pèlerinage.
Les pèlerins qui reviennent de Jérusalem rapportent des palmes, ceux qui reviennent de Saint-Jacques des coquilles. Car les palmes signifient le triomphe et les coquilles les bonnes œuvres… Ces coquilles sont comme les doigts de la main, et les Provençaux les appellent nidules et les Français croisilles, et au retour !es pèlerins du sanctuaire de Saint-Jacques les attachent à leur cape pour la gloire de l’Apôtre…Les sortes de cuirasses avec lesquelles le mollusque se défend signifient les deux préceptes de la charité avec lesquels celui qui les porte doit se défendre: aimer Dieu par-dessus tout et le prochain comme soi-même.
Codex Calixtinus, livre 1
Une belle légende
Aux pèlerins de jadis, qui suivaient le « chemin étoilé » avec foi et avec émerveillement, était contée la belle légende que voici :
« Au temps du bienheureux Théodemir, évêque de Compostelle, un chevalier longeait la mer sur les côtes de Galice. Un monstre marin attaqua alors son cheval et le précipita dans la mer. Ne sachant pas nager et se voyant perdu le chevalier invoqua l’Apôtre Saint-Jacques envers lequel il avait une grande dévotion. Touché par la confiance mise en lui, Saint-Jacques apparut au moment où le chevalier allait être entraîné dans les flots par le monstre. Saint- Jacques marchait sur les eaux et il était environné d’une lumière étincelante. Autour du chevalier, l’eau se sépara en deux, laissant voir le fond de la mer couvert de coquilles. Saint-Jacques prit doucement le chevalier dans ses bras et le plaça sur une vague qui l’emporta vers le rivage. Encore tout impressionné, le chevalier vit l’Apôtre disparaître lentement, toujours entouré de lumière, avec des coquilles fixées sur son vêtement en guise d’ornement et il s’aperçut alors qu’il était lui-même couvert de coquilles. Le chevalier raconta son aventure miraculeuse aux pèlerins de Compostelle qui virent là un symbole et adoptèrent immédiatement comme emblème la coquille qui reçut le nom de « coquille Saint-Jacques ».
Ramenée à l’origine des plages de Galice, la coquille devint à la longue signe de ralliement et de reconnaissance dès le départ.
Jeannine Warcollier