Société Française des Amis de Saint-Jacques de Compostelle La plus ancienne de toutes les associations jacquaires – depuis 1950

René de la Coste-Messelière

René de La Coste-Messelière, un pionnier sur le Chemin fut une des personnalités qui depuis 1950 ont inspiré la Société Française des Amis de Saint-Jacques-de-Compostelle et lui ont donné sa notoriété. Il a marqué de son empreinte la renaissance des chemins du pèlerinage à Saint-Jacques. Nous reproduisons ici avec son autorisation l’article que Monsieur Gérard Jugnot, qui fut président de la Société, avait signé en avril 1998 dans le magazine « Pays Cathare ».

Il fallut attendre les années 50 pour que les chemins de Saint-Jacques ne soient plus seulement voie de pèlerinage, mais aussi route historique et culturelle. Cette vision moderne, responsable du nouvel engouement pour ces chemins, est celle de René de La Coste-Messelière, un archiviste qui associa toujours effort du pèlerin et connaissance savante.
La spectaculaire et inattendue renaissance du pèlerinage de Compostelle, en cette fin de XXe siècle, est très largement le fruit de l’inlassable activité déployée par René de La Coste-Messelière, pendant quarante-sept ans. Toute sa vie durant, jusqu’en 1996, cet archiviste-paléographe, diplômé de l’école des Chartes en 1950, se consacra à la redécouverte et à la mise en valeur de ces chemins, quasiment tombés dans l’oubli depuis la fin du XVIIe siècle. Président ou fondateur de nombre d’associations Compostellanes – la Société des amis de Saint-Jacques, le Centre d’études Compostellanes, le Centre de Culture Européenne Saint-Jacques-de-Compostelle, dans l’abbaye royale de Saint-Jean-d’Angély, en Charente-Maritime, il dirigea aussi la revue«Compostelle» et organisa de très remarquables expositions internationales sur ce thème.
Sa plus grande réussite fut cependant d’avoir su donner une nouvelle énergie à ce pèlerinage en lui offrant une légitimité historique. Jamais, René de La Coste-Messelière ne sépara la connaissance savante de l’effort du pèlerin. Inversement, il estimait que l’ascèse du marcheur permettait à la science historique de prendre tout son sens et une dimension vivante: « sachent ceux qui marchent, marchent ceux qui savent! »
C’est sur le « caminofrances », la partie espagnole de la voie de Compostelle, qu’il fait ses premiers pas de pèlerin, au début des années 50. Il a alors une trentaine d’années. Choisi, peu après, comme conseiller historique du premier film tourné sur le chemin de Saint-Jacques, on peut le voir, sur un document d’époque, en tenue de marcheur, la pipe entre les dents, parcourir d’un pas ferme le vieux sentier, traverser une Castille à peine remise de la guerre et bien peu différente de celle qu’avaient pu découvrir les pèlerins du XIIIe siècle, participer aux moissons selon les rites ancestraux, s’arrêter dans des villes et villages où la circulation automobile est inexistante, les routes en terre et l’électricité inconnue, passer en des lieux, de nos jours méconnaissables ou disparus, tel Puerto-Marin, englouti depuis sous les eaux du Mino pour les besoins de la construction d’un barrage…
Marcheur infatigable
Et que dire de Saint-Jacques-de-Compostelle, quasi-désert, parcouru seulement par de vieilles femmes, où seuls les grands monuments sont identifiables? Ou encore de la cathédrale où le temps semble s’être arrêté, même si s’accomplissent toujours quelques gestes rituels: mise de la main dans l’arbre de Jessée, coup de tête contre la statue du maître Maico et envolée – toujours spectaculaire – du « botafumeiro », l’encensoir géant. Comme tout pèlerin parvenu au but, à la fois heureux et un peu triste de sentir l’aventure derrière lui, il sait qu’il reprendra sans cesse la route.
À plusieurs reprises, l’occasion lui sera donnée de la parcourir à cheval. En 1963, tout d’abord, depuis les Saintes-Maries de la Mer, sur le chemin d’Arles, puis au départ de Paris, en 1965, année où justement se déroule l’une de ses plus fameuses expositions, aux Archives nationales. L’image est surprenante : fièrement campés sur leurs montures, la troupe de cavaliers traverse Paris depuis la tour Saint-Jacques jusqu’à l’ancienne porte Saint-Jacques, étendards déployés… En 1971, lorsqu’il reprend encore une fois la route, la figure de La Coste-Messelière est devenue familière aux populations vivant en bordure du chemin : c’est un grand homme à la chevelure déjà blanchissante, arborant une petite moustache, qui fume la pipe en permanence. De contact facile et direct, il parle désormais couramment espagnol mais avec un épouvantable accent français. Sale et déguenillé à l’arrivée à l’étape, il fait passer les soins pour sa monture avant toute autre chose et impose avec fermeté cette discipline à tous ses coéquipiers, en dépit des fatigues accumulées en cours de route. Et avec le même souci d’exigence, on le voit paraître, quelques minutes plus tard, impeccable dans sa tenue de parade.
Chercheur méticuleux
Mais René de La Coste-Messelière n’est pas seulement un cavalier. C’est aussi un chercheur passionné et méticuleux à l’extrême: ceux qui ont connu son bureau aux Archives nationales, dont il est l’un des conservateurs dès 1952, encombré de documents et de dossiers, ont travaillé avec lui pour l’installation des grandes expositions jacquaires, la rédaction de la revue « Compostelle » ou la préparation de conférences et de communications, le savent bien. De manière surprenante toutefois, celui qui désormais est considéré comme le spécialiste de l’histoire du pèlerinage de Galice – il est d’ailleurs nommé membre de la commission « chemins de Saint-Jacques » de l’accord culturel franco-espagnol et de la commission des experts jacquaires du gouvernement autonome (xunta) de Galice – attend 1993 avant de publier le livre qu’il aurait dû écrire depuis longtemps (1). Discrétion d’un homme, plus préoccupé à redonner sa juste place à un chemin, qu’il parcourut finalement à sept reprises, et dont il voulait qu’il fut enfin considéré comme « premier itinéraire culturel européen » et élément du patrimoine de l’Humanité… Et modestie de celui qui jugeait probablement que parmi toutes ses hautes distinctions -dont la nomination au rang d’officier de l’ordre d’Isabelle la Catholique, en 1993 -, rien ne valait son titre de « fils adoptif de la ville de Saint-Jacques-de-Compostelle ».
Gérard Jugnot